[Glop !] Un Choeur d'enfants maudits - Tom Piccirilli

Publié le par Epikt


« Il faut vraiment voir cette gamine de loin pour lui donner six ou sept ans. Elle en a au moins treize ou quatorze, et elle a l’air plutôt ridicule avec sa grosse sucette. Mais je comprends que les gens aient été induits en erreur par son uniforme d’écolière – socquettes, minuscules chaussures de poupée en plastique noir – et ses couettes – des couettes mon Dieu ! »


Et voué, il suffit de me faire lire trois lignes de ce style pour me faire acheter un bouquin. Ça s’appelle du marketing ciblé, et je crains que cela ne fonctionne pas pour tout le monde. C’est bien dommage car Un choeur d’enfants maudits, court roman inédit de Tom Piccirilli paru – dans une collection certes honnête mais qui ferait mieux de rééditer Kevin Jeter que Bradbury et Heinlein – dans l’indifférence générale, mérite fortement le détour.

Difficilement résumable, le roman suit les pas de Thomas, « seigneur » de Kingdom Come, un patelin de bouseux paumé au beau milieu des marais peuplé de sorcières vaudou, de moines pénitents sado-masochistes et terrorisé par un maniaque chaussé de 46 qui botte le cul des chiens errants. Thomas vit dans son manoir, coincé entre ses trois frères siamois reliés par la tête, les fantômes de ces ancêtres (son père devenu fou et suicidé en se jetant entre les pales d’un moulin, sa mère disparue qui rêve constamment dans sa tête, sa grand-mère assassinée à la faucille et exposée sur le toit de l’église,...) et ses démons personnels (sa femme qui l’épie de loin comme un spectre, le gamin qu’il a retrouvé mort dans les marais quand il était enfant,...). Et comme si cela ne suffisait pas, débarquent une équipe de télé qui vient faire un reportage sur les triplés (une journaliste cocaïnomane qui tombera amoureuse d’un des trois et un caméraman qui se découvrira une vocation de réalisateur porno) et une mystérieuse gamine muette en uniforme d’écolière, léchant constamment une immense sucette et arborant, oh mon Dieu ! ... des couettes !


« En admettant que ce soit Ève, j’aimerais lui demander de mettre ses socquettes avant qu’on reprenne tout de zéro. »


Plus qu’il ne raconte une histoire dont on n'a de toute façon rien à battre, plus qu’il ne disserte sur des thèmes universels à la mords moi le noeud, Un choeur d’enfants maudits est un roman d’ambiance, le formidable portrait de la décadence. Poisseux, cruel, baroque, extraordinaire, le roman de Piccirilli est un monstre de littérature, de ceux tellement difformes qu’on ne peut les voir sans défaillir, les regarder sans vomir. Porté par une écriture exceptionnelle, qui laisse parfois perplexe quand à sa rigueur grammaticale mais jamais quand à sa maîtrise et à sa force, constamment inventif et pervers, foisonnant et riche jusqu’à l’overdose, Un choeur d’enfants maudits se paye aussi le luxe de proposer les plus fabuleuses scènes de cul qu'il m'ait été donné de lire depuis des lustres. Rien de graveleux là-dedans, mais une belle et intense poésie ; juste de la classe, une immense classe, et un talent d’écrivain comme on aimerait en voir plus souvent.


« Sa langue s’agite entre ses dents noires cassées et ses lèvres bleuâtres enflées. Il ouvre la bouche sur un rire léger, un son hideux qui évoque un choeur d’enfants maudits.
Je laisse l’idiot dans la boue, mort et rieur. »






*****************************


Titre : Un choeur d'enfants maudits
Auteur : Tom Piccirilli
Titre original : A choir of ill children
Traduit de l'anglais par Michelle Charrier
Edition française chez Folio SF
 

Publié dans Glop !

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
G
"aient été introduits en erreur" ?<br /> Effectivement ça donne envie... de renvoyer le traducteur à l'école élémentaire et le bouquin à son éditeur.<br /> C'est une tendance assez générale, malheureusement : écrit à la hache, traduit à la truelle.<br /> Apparemment, ça ne décourage que les amateurs de Bradbury et Heinlein...
Répondre
E
Appelons ça un collage surréaliste. ^_^'Ou une faute de frappe de ma part, mais il y a en effet quelque chose en "tro" - c'est corrigé, merci.Traduit à la truelle, je ne pense pas, Michelle Charrier étant une excelente traductrice, et qui a visiblement fait un très bon boulot sur un roman pas évident. Ensuite, écrit à la hache, bah... c'est bien !
J
bonjour,et mercime voici rassuré...c'est plein d'humour tout ça.Je sens que je vais m'y remettre et découvrir ce que j'ai manqué...amicalementjmm
Répondre
J
bonsoir,glop : tes analyses sont très intéressantes et donnent envie de lire...un peu moins glop : tu vas peut-être rire... j'adore Bradbury et Heinlein, j'ai l'impression d'être ainsi classé par toi parmi les vieux ringards... mais c'est vrai que je n'ai guère eu le temps d'avancer dans le genre...amicalementJMM
Répondre
E
haha !Aucun problème avec tes goûts, ma remarque sur Heinlein et Bradbury ne visait pas en particulier ces auteurs. Mais disons qu'il y en a qu'on réédite à tord et à travers, dont on ressort des textes d'intérêt mineur simplement parce qu'ils ont un nom qui assure un minimum de vente, alors que d'autres plus intéressants voient leurs livres épuisés depuis 10 ans bien que ce soient de p*tain de chefs d'oeuvre (Jeter par exemple).Et c'était aussi un petite pique à l'endroit de Pascal Godbillon, directeur de collection chez Folio SF et qu'on avait gentillement tané sur le sujet quelques jours auparavant.(Pascal, si tu me lis, tu as aussi Jean-Marc Agrati à reprendre en poche)
A
"Cette réponse est dailleurs honteusement promotionnelle puisque y'a un texte sur a Scanner Darkly qui traine sur mon site, et un sur le Dahlia aussi :D http://maniak.sa.free.fr/reviews.html"je suis glop glop de voir qu'il y en a aussi une sur "le chien a des choses à dire" !A.K.
Répondre
M
"le procédé de roto rend admirablement instable l'image, les éléments glissent les un par rapport au autres, la réalité y est très mouvante... en un sens il s'agit d'une illustration extrêmement convaincante de la vision de PK Dick, de sa paranoïa,..."<br /> pas con ça, j'y avait pas pensé... je m'étais arreté à l'aspect moche du truc :Dmouais le mot pour mot me gêne moi, je suis du genre à préférer les adaptation personnelles, qui trahissent le bouquin mais qui en deviennent beaucoups plus intêressantes et personnelles... genre le récent Dahlia noir tiens...Cette réponse est dailleurs honteusement promotionnelle puisque y'a un texte sur a Scanner Darkly qui traine sur mon site, et un sur le Dahlia aussi :D http://maniak.sa.free.fr/reviews.htmlvoilà sinon je note Tom Piccirilli dans un coin de mon esprit, on verra si je tombe dessus un jour...(tiens au fait James G Ballard a écrit un nouveau bouquin, ça s'apelle Kingdom Come, mais je crains qu'il ne soit sorti que de l'autre coté de la Manche pour le moment...)
Répondre